Omelas : le faux paradis de Spring Day
Le 16 avril 2014, Incheon, 8h, rien ne laissait présager un drame national. Ce jour-là, 325 lycéens, 15 professeurs, 33 membres d’équipage et 106 autres passagers embarquent sur le ferry Sewol 서월 vers Jeju 제주. Mais deux heures plus tard, alors que le ferry se trouve à 30 km des côtes de l’île Jindo, il se retourne complètement et sombre inéluctablement par la poupe. 304 victimes sur 476 personnes sont à déplorer.
Un drame qui aurait pu être évité sans ces adultes cupides, à la recherche d’un bonheur fallacieux, l’argent. Des entreprises qui en voulaient plus. Un bateau trop chargé. Un service de garde-côtes trop lent. Un gouvernement qui a fermé les yeux…
Cette belle journée de printemps est à jamais tachée du sang des innocents dans le cœur des Coréens.
Jusqu’à quel point sacrifier l’innocence ?
C’est aussi l’une des nombreuses questions soulevées par la nouvelle « Ceux qui partent d’Omelas » d’Ursula K. Le Guin : en effet la nouvelle, le naufrage du Sewol et la chanson Spring Day sont étroitement liés.
Publiée en 1973, la nouvelle dépeint Omelas, une ville fictive. Festive, prospère et pacifique, elle paraît idyllique. Pourtant, peu à peu, le lecteur découvre que ce bonheur permanent repose sur une atroce vérité : la souffrance permanente, elle aussi, d’un enfant emprisonné dans les basses fondations. A Omelas, tout le monde le sait. La majorité ferme les yeux et continue sa douce vie. Et quelques-uns n’acceptent pas de devoir leur joie au détriment de la souffrance d’une personne, ceux-là quittent la cité.
Dans quelle mesure le MV de BTS Spring Day nous emmène- t-il dans la cité d’Omelas ?
La mer
Spring Day a été réalisé en hommage aux victimes du naufrage du navire Sewol 서월, sombrant dans les eaux matinales du 16 avril 2014. Il est alors indéniable que la mer symbolise les victimes de la cupidité humaine et de la corruption. La mer est présente dans Spring Day notamment lorsque Jimin a le regard perdu au loin vers l’horizon assis sur la plage de Jumunjin à Gangneung et que résonnent les premières paroles 보고 싶다 (« tu me manques »). On aperçoit Jimin aussi à un autre moment, dos à la mer avec sans doute entre ses mains les chaussures qui symboliseraient une des victimes disparues. En effet, Gangneung rappelle les villes côtières de la belle Omelas. Ce bleu intense que dégagent le ciel et la mer, ainsi que cette ambiance digne d’un été, s’accompagne alors des rires des sept membres de BTS. Cette mer est tout aussi présente dans Omelas. Cette cité « qui domine la mer de ses tours » se situe dans un environnement idyllique comme une île perdue où s’éterniseraient les vacances d’été, ou bien comme une scène qu’on pourrait retrouver dans les contes de fée pour enfants.
Le train / Le Transperceneige
Le thème autour du train est l’un des éléments centraux de Spring Day que ça soit la gare que nous aborderons après, les rails ou le train lui-même. Les premières images nous amènent avec V sur les rails, écoutant d’une oreille le roulement du train en approche. Tout au long du MV on voit le train en perpétuel mouvement, celui-ci est comme fermé dans une boucle sans destination, ni arrêt. Il est même mention du célèbre Transperceneige, le train qui ne s’arrête jamais, avec à son bord des rescapés d’un froid cataclysmique.
Même en août, l'hiver est là, Mon esprit traverse le temps Sur le Transperceneige laissé là, Tenant ta main, je vais à l'autre bout du monde. J'aimerais mettre fin à cet hiver.
Je suis enclin à penser que les gens des villes au nord et au sud de la côte étaient venus à Omelas durant les derniers jours qui précédaient la Fête à bord de petits trains très rapides et de trams à deux étages, et que la gare d’Omelas se trouve être le plus joli bâtiment de la ville [...].
On peut y voir le paysage défiler, les membres se reposer, réfléchir à son bord. Il permet notamment à Jungkook de revenir sur ses pas afin de retrouver ses amis. Si on fait le parallèle avec la nouvelle, il y a bien, cependant, un arrêt : Omelas. En effet, bien que très présent dans le MV, le train ne tient plus une si grande place dans la nouvelle. Son importance n’est qu’au début de l’histoire, c’est une échappatoire qui permet de se rendre au festival d’été d’Omelas. La merveilleuse ville où il est bon de vivre.
De plus, si l’on regarde plus loin, les gens en partance d’Omelas ne prennent pas le train, ils marchent, ils errent jusqu’à trouver un nouveau départ, c’est comme si le train n’avait qu’une destination, un peu comme à l’image des gens qui quittent Omelas.
Ces gens-là sortent dans la rue, et marchent le long des rues, seuls. Ils continuent de marcher, et marchent droit hors de la cité d’Omelas, passant les superbes portes. Ils continuent de marcher à travers les terres cultivées d’Omelas. (...) ils marchent devant eux, dans l’obscurité, et ils ne reviennent pas. Le lieu vers où ils marchent est un lieu encore moins imaginable pour la plupart d’entre nous que la cité du bonheur. Je ne peux pas du tout le décrire. Il est possible qu’il n’existe pas. Mais ils semblent savoir où ils vont, ceux qui partent d’Omelas.
La gare
Alors que le train est comme nous l’avons vu un élément central dans le MV, la gare ferroviaire semble également être une composante marquante de l’univers de Spring Day. En effet, avant même que la musique ne commence, le MV s’ouvre sur Taehyung qui se tient debout sur le quai d’une gare, reconnaissable à l’aide des panneaux indicatifs en arrière-plan. Le fait que cette scène soit la première du MV met en avant son importance dans l’œuvre, ce qui est renforcé par le silence qui l’accompagne doucement brisé par le sifflement d’un train. Les gares sont des espaces de transit, de départs ou d’arrivées. Ce lieu renvoie ainsi à l’imaginaire d’un voyage, qu’il soit concret ou symbolique en illustrant la volonté de “prendre un nouveau départ”. Cela peut s’interpréter au travers de la thématique du naufrage du Sewol et du deuil : celui des familles ayant perdu des proches mais également celui de toute une nation qui est sous le choc tant de la catastrophe que du scandale qui suivit. La gare est également centrale dans « Ceux qui partent d’Omelas. » En ce qu’elle est “le plus joli bâtiment” de la cité, elle représente premièrement la grandeur d’Omelas, son opulence et sa splendeur. Cependant il est possible d’y ajouter un second degré de lecture car la gare reste avant tout un lieu de voyage, en lien avec le titre de la nouvelle : elle permet justement de “partir” d’Omelas. Dans le MV comme dans la nouvelle, il est ainsi possible d’interpréter la gare comme le lieu marquant le début d’un voyage qui changera à jamais celles et ceux qui se trouvent sur le quai.
Les montagnes
La nouvelle mentionne qu’autour de la ville “s’élevaient les montagnes, encerclant à moitié Omelas dans leur immense étau” signe que cette ville est unique, enfermée du monde extérieur et qui a sa propre démocratie sans que le monde extérieur ne puisse avoir un regard sur celle-ci, autre que les jours de fête. Les montagnes sont donc symbole de l’isolation d’Omelas et nous pouvons les retrouver dans le MV, lorsque les scènes se déroulent dans les alentours de la gare. Cette gare est entourée de montagnes verdoyantes. Enfin, derrière Jimin, dans la laverie se trouve un tableau représentant des montagnes. Ainsi, les montagnes, la ville, Omelas, ne sont plus qu’un souvenir qu’on peut afficher, ils n’y sont plus, mais y ont été.
La neige
Omelas, ville du printemps éternel, ne connaît pas l’hiver. Alors pourquoi le MV s’ouvre-t-il sur un décor enneigé ?
Si la neige est un élément prédominant du MV, il est de moindre importance dans la nouvelle, on la trouve loin d’Omelas :
Très loin au nord et à l’ouest, les montagnes s’élevaient, encerclant à moitié Omelas dans sa baie. L’air du matin était si pur que la neige, qui couronnait encore les Dix-Huit Pics, brûlait d’un feu d’or blanc à travers l’étendue d’air ensoleillé, sous le bleu profond du ciel.
L’analyse de sa présence est peut-être à développer de manière brève. La neige nous plonge dans le froid dès le début du clip. Dans la nouvelle, les gens quittent leur ville donc, peut-être le froid pour se rendre au festival de l’Été. d’Omelas. On imagine ainsi que les garçons quittent la neige et le froid pour retourner vers le printemps.
Par delà les montagnes et la mer, on retrouve la prairie qui s’ouvre sur la dernière partie du MV. Cette vaste étendue qui, comme dans la nouvelle, est l’échappatoire de la ville.
La neige froide et incolore, en opposition aux couleurs chatoyantes et au bon temps d’Omelas, ne serait-elle pas là pour dissuader les habitants de partir ? Mais en même temps révélatrice de vérité ?
Omelas, la ville qui se veut utopique, l’est-elle vraiment ? Comment Spring Day le démontre-t-il ?
Dans sa nouvelle, Ursula K. Le Guin nous invite tout d’abord à visualiser cette ville plus que parfaite. Aux yeux de tous, la description qui est présentée nous plonge dans un Eden. Cet Eden est mis en avant dans le MV par les différents décors que l’on y retrouve, homologues à la nouvelle, on y retrouve la montagne, la mer, … mais avant tout à la joie que nous communiquent les rires et jeux des membres. Le narrateur nous présente sur plusieurs pages des festivités de la ville ainsi que le plaisir des habitants de vivre à Omelas. Tous paraissent avoir atteint un certain bonheur dans une ville où le calme, la sérénité et la paix règnent.
La description idéale d’une société humaine que représente Omelas, sans guerres, rois ou esclaves ; « l’éclatante » Omelas reposant sous « le bleu profond du ciel », se dégrade peu à peu jusqu’à ce qu’on découvre son terrible secret qui entache son statut de cité idyllique : celui de l’enfant isolé, symbole même de la pureté et de l’innocence, au profit du bonheur commun des habitants. Il est alors flagrant pour le lecteur que l’utopie n’est finalement pas atteignable, la perfection d’Omelas n’étant qu’illusion, cette dernière repose sur les vices des hommes. « Une chose que je sais ne pas être en Omelas est le crime. »
Spring Day ne met pas en scène cette dystopie par le biais du même procédé qu’Ursula K. Le Guin. Le MV place le spectateur au niveau des individus, des habitants d’Omelas. Tandis que dans la nouvelle, la vision d’Omelas et de son utopie mensongère s’effectue par le biais des groupes et de la ville, Spring Day illustre ces points en comparant les moments en groupe aux protagonistes solitaires. Ainsi, le spectateur peut constater qu’à l’occasion des instants où les membres sont réunis en groupe, la bonne humeur, l’insouciance, les rires et les sourires sont omniprésents tandis qu’au contraire, lorsqu’un membre se retrouve seul, les sourires et les rires s’évanouissent, les regards sont dans la vague et la bonne humeur s’en est allé. Alors que les citoyens d’une ville utopique devraient être heureux, les membres reflètent une tristesse intarissable lorsqu’ils se retrouvent seuls et que l’illusion de bonheur que leur offre le groupe tombe.
La place de Jin interpelle.
Est-il observateur ? Est-il l’enfant sacrifié ?
À l’insouciance des membres de BTS, qui transparaît notamment dans cet appartement dans lequel on les voit de nouveau heureux dans les escaliers, Jin, dans ce même plan, n’est qu’observateur comme s’il réalisait qu’il n’avait plus sa place avec eux, comme s’il avait pris conscience du travers de cet Eden. Il réalise petit à petit que le bonheur de tous est lié aux malheurs d’un enfant. Que doit-il faire ? Que doivent-ils faire, vis-à-vis de cette vérité ? Cette vérité devient un tourment, qui réduit leur bonheur au fur et à mesure du MV.
Ou est-il l’incarnation de cet enfant enfermé dans une petite pièce sans fenêtre où certains habitants d’Omelas y risquent parfois un coup d’œil ? Les habitants d’Omelas paraissent refuser le mal et la souffrance, et le bonheur serait fondé sur « un juste discernement de ce qui est nécessaire, de ce qui n’est ni nécessaire ni nuisible, de ce qui est nuisible. » En parallèle Spring Day offre ce même exemple d’un déni de la souffrance, bien qu’au fil du clip l’attitude des membres finit par changer pour passer de l’amusement puérile à l’ennui profond puis à la tristesse. Se pose-t-on alors comme question : ce bonheur constant et inchangé est-il si enviable que ça mais aussi réalisable ? D’après BTS et Ursula K. Le Guin, il semblerait que ce ne soit pas le cas, du moins pour le commun des mortels. Surtout quand l’on sait que ce bonheur collectif repose sur la maltraitance inhumaine d’un enfant d’Omelas. Finalement pourrait-on dire que les non-dits sur la corruption qui a indirectement engendré le tragique naufrage du Sewol protège le quotidien de plusieurs personnes ? Pour le bonheur de quelques oligarques ou pour éviter un bouleversement politique qu’aurait entraîné la vérité ? Pourtant bien qu’ils essaient tous de nier ces vérités, ils ne peuvent y échapper : en effet dans Spring Day, BTS semble toujours, quoiqu’ils fassent, retourner à Omelas. Pourtant ils finissent par ouvrir les yeux et en partir.
En quoi la question de l'insouciance et de la conscience est-elle au cœur d’Omelas ? Comment sont-ils représentés dans Spring Day ?
La première moitié de la nouvelle est centrée sur l’image d’une cité idyllique, où les “cris aigus [des enfants] s’élevaient comme les volées d’hirondelles qui se croisaient au-dessus de la musique et des chants.” La description d’Omelas se fait en effet au moment de la Fête de l’Été et l’autrice insiste sur les moments de joie des habitants. Cette atmosphère se retrouve dans le MV, notamment lorsque nous suivons Namjoon qui entre dans un bâtiment qui ressemble à un hôtel avant d’ouvrir une porte où il retrouve les autres membres du groupe. Ce moment ressemble lui aussi à une fête, avec un gâteau lancé dans les airs, de la nourriture et des confettis. Comme pour parfaire cette comparaison entre la nouvelle et le MV, le bâtiment dans lequel entre Namjoon est couronné d’une inscription en néons bleus : Omelas. Il pourrait s’agir de descriptions de scènes d’insouciance, d’une forme de légèreté et de bonheur associé au moment de la jeunesse.
Les membres s’amusent comme des fous, avec des sourires en coin, une joie communicative, des couleurs, malgré leur âge ils gardent en eux leur Inner Child* soit leur âme d’enfant. Cette joie est dans Omelas amplifiée par l’environnement dans lequel ils évoluent, un endroit où chacun vit en harmonie avec une nature paisible sous un beau soleil d’été. Ils vivent sans les problèmes propres à nos sociétés : la hiérarchie sociale, la société de consommation, les armes. En bref, ils ne se soucient pas des réalités qui se cachent derrière ce paradis idyllique.
*En référence au solo de V dans l’album Map of the Soul: 7.
Ensuite le ton de la nouvelle se noircit, il est mention de l’existence de l’enfant maltraité et livré à lui même et l’autrice révèle :
leur bonheur, la beauté de leur cité [...] et même l’abondance de leur récolte et la clémence de leur climat, dépendent entièrement de l’abominable misère de cet enfant.
Les jeunes habitants d’Omelas sont alors mis au courant et sont amenés à venir voir l’enfant. En effet, cette relation de cause à effet entre la joie de la cité et la maltraitance de l’enfant est « expliquée aux enfants le plus souvent entre l’âge de huit et douze ans, dès qu’ils semblent en mesure de comprendre ; et la plupart de ceux qui viennent voir l’enfant sont jeunes. » Il semblerait donc qu’à Omelas s’opère un rite de passage au moment où l’on a connaissance de l’enfant : devenir adulte, c’est prendre conscience que son bonheur collectif à Omelas repose sur la maltraitance d’un individu. Ce moment de prise de conscience est important car il n’est plus possible de l’ignorer et les moments de bonheur ne peuvent alors plus du tout avoir le goût de l’insouciance.
Le passage à l’âge adulte et la prise de responsabilité qui nous tourmentent est l’une des réalités qui nous frappe que ce soit dans Spring Day ou dans la nouvelle de « Ceux qui partent d’Omelas. » L’insouciance de l’enfance s’épanouit dans le MV avec les moments de vie et de folie des membres, qui nous rappelle le début de la nouvelle, les cris d’enfants. Puis différents plans nous montrent la mélancolie de chacun des membres, que ce soit Jimin sur cette plage, Jungkook dans le train, Suga sur cette immense montagne de vêtements. D’ailleurs, cette montagne de linge est directement inspirée de l’œuvre « Personnes » de Christian Boltanski. En 2010, le plasticien/sculpteur français l’avait dédiée aux victimes de la Shoah. Ici, dans le MV, cette pile de vêtements représente les victimes de Sewol. Cette montagne met en plein jour ces « personnes » disparues. On ouvre les yeux sur la réalité. Impossible de l’ignorer.
Le tourment du passage à l’âge adulte est l’acceptation de la réalité de la société qui vient s’installer dans leur esprit. Cette ville utopique basée sur l’utilitarisme, une doctrine qui prescrit d’agir de manière à maximiser le bien-être collectif, met les membre de BTS face à la question fondamentale que soulève cette idyllique société et son travers, doivent-ils faire preuve d’égoïsme au d’empathie envers l’enfant ? Finalement que ce soit pour l’œuvre d’Ursula K. Le Guin, ou bien pour MV de BTS Spring Day, ils décrivent tous deux avec réalisme le passage de l’enfance à l’âge adulte. Progressivement, on aperçoit dans « Ceux qui partent d’Omelas » et Spring Day cette transition.
Pourtant cette perte de l’insouciance atteint progressivement la joie de nos âmes enfantines : les couleurs s’assombrissent que ce soit dans Spring Day ou dans la nouvelle (passage à la nuit, voyage dans la pièce du jeune garçon sans fenêtre…), et les sourires s’estompent pour laisser place à une sorte de lassitude. « Ce n’étaient pas des enfants naïfs et heureux – bien que, en fait, leurs enfants fussent heureux » ; être adulte signifie-t-il être condamné à ne jamais être heureux ? Les habitants d’Omelas savent qu’un enfant y est maltraité au profit de leur bonheur collectif ; pour BTS ce n’est pas évoqué explicitement mais on s’imagine bien que tout cela se cache derrière les lourds secrets du naufrage du Sewol.
Dans Spring Day pourtant, cette perte de l’insouciance peut être symbolisée par ce vieux carrousel rouillé, finie l’enfance faite de joie et de jeux. Maintenant il s’agit pour ces jeunes adultes de choisir comment ils vivront avec cette conscience : Jungkook lui choisit de pas nier la vérité, en effet c’est le seul des passants à rester immobile devant ce carrousel symbolisant son enfance perdue, d’autres choisissent d’être passifs et affirment qu’ils ne peuvent rien de plus, « mais avec le temps ils commencent à se rendre compte que, même si l’enfant était relâché, il ne tirerait pas grand-chose de sa liberté.«
Et si devenir adulte ne signifiait pas seulement vivre avec sa conscience mais d’accepter notre empathie pour les autres : vivre sans nier que des centaines d’adolescents sont décédés à cause de la cupidité de l’homme – en référence au naufrage du Sewol, dont la sécurité du bateau était mal assurée pour plus de rentabilité.
L’insouciance et la conscience sont deux concepts psychologiques qui ont une importance non-négligeable dans la vie d’un individu. Savoir si nos actes sont bons ou mauvais, connaître les conséquences de nos agissements et les limites applicables. C’est une étape essentielle que de passer de l’insouciance de l’enfance à la conscience pour vivre en communauté. Cette idée, de passer d’une insouciance à un état de conscience est au centre même de la nouvelle d’Ursula K. Le Guin. Comme il l’a déjà été indiqué à plusieurs reprises, l’utopie de la ville d’Omelas repose sur la maltraitance d’un enfant. La question de l’insouciance des habitants d’Omelas vis-à-vis de cette maltraitance ou de la conscience de leur acte est une question fondamentale pour comprendre l’œuvre. Le titre de la nouvelle, « Ceux qui partent d’Omelas, » met l’accent sur les citoyens qui quittent cette ville mais pourquoi partir d’Omelas ? Pourquoi quitter un village où le bonheur est maître ? Parce qu’on prend conscience de l’atrocité des actes de ses citoyens ? Parce qu’on perd l’insouciance de l’enfance ? En effet, le narrateur explique aux lecteurs que les adultes ne sont pas ceux qui nourrissent l’enfant captif, ce sont des enfants ou des adolescents qui s’y rendent, inconscients de l’horreur qui est infligée à la victime. Tandis que les adultes eux, ne sont plus capable de s’y rendre, ni même de mentionner les atrocités qui se passent dans cette pièce spectatrice, ayant, pour leur part, conscience des conséquences et de l’importance de cette maltraitance. Se pose alors la question de vivre avec sa conscience. Comment les citoyens d’Omelas peuvent-ils vivre avec la conscience que leur bonheur est basé sur le malheur et la maltraitance d’un tiers ? Certains font le choix d’ignorer, d’oublier et de vivre dans une illusion tandis que d’autres décident de ne plus être des acteurs de la persécution de l’enfant et quitter la ville. Dans le MV de Spring Day, c’est cette prise de conscience et la décision de quitter ce cercle vicieux qui est illustré. Chacun des membres, du plus vieux au plus jeune, prend conscience dans le MV et quitte Omelas. Jin prend conscience dès le début du MV, il est spectateur de l’insouciance des membres, mis en scène par les scènes de jeux et rarement présent dans ces moments de joie. Ce constat s’applique ensuite à tous les membres jusqu’à être seul, illustré par de nombreuses scènes où Jungkook se trouve seul, avant d’être rejoint par les membres et se retrouver avec eux dans un train, symbole de leur départ.
En quoi le choix de partir d’Omelas permet d’espérer l’arrivée d’un nouveau printemps ?
#Coco : Partir d’Omelas paraît pour tous difficile : dans Spring Day les membres prennent peine à trouver une sortie à ce système comme s’ils étaient coincés dans un labyrinthe qui n’en finit jamais, et les habitants décrits dans le livre paraissent préférer rester que de quitter leur confort quotidien. Pourtant certains s’en vont, « ceux qui partent d’Omelas. » Partir, quitter ce monde de faux-semblants, permettrait de découvrir un endroit « qui serait encore plus incroyable que la cité du bonheur. » Une lueur d’espoir dans un quotidien monotone dont plus personne n’y savoure la vie. Finalement c’est ce que représente le symbole printanier utilisé dans Spring Day, qui a même inspiré le titre de la chanson « Jour de printemps », en plus de rappeler que le naufrage du Sewol s’est déroulé un 16 avril. C’est à la fin du clip vidéo, lorsque tout le monde paraît avoir enfin quitté Omelas, que l’hiver qui paraissait si interminable laisse place au printemps, que les couleurs deviennent plus lumineuses, et que la caméra se braque sur la teinture colorée de Jimin. C’est l’arrivée du printemps, du renouveau, comme si chacun arrivait enfin à faire son deuil. Partir d’Omelas c’est choisir la Vie, qui n’est pas toujours rose, mais on choisit en la quittant d’être honnête avec soi-même et d’une certaine manière d’être plus apaisé.
#Mochi : Le MV et la présence de ce train en perpétuel mouvement nous renvoie continuellement à Omelas. La fin du MV de Spring Day nous montre les enfants devenus adultes s’éloignant vers un nouveau monde. On retrouve également au long du MV une envie de liberté, d’échapper à la réalité, la scène avec J-hope sur le toit du train l’illustre très bien. Finalement la prise de conscience de la souffrance d’un individu plonge chacun dans une réflexion où l’on peut se poser la question : les adultes sont-ils réellement heureux sachant l’existence de l’enfant ? Qu’il s’agisse de partir ou rester à Omelas est dans mon esprit une forme d’égoïsme, indissociable de l’Homme. En effet, en restant, on condamne une personne pour le bien de tous, et si l’on part dans un sens on tourne le dos à cette personne, et pourtant ce départ peut permettre de trouver un meilleur alternatif à la société actuelle. Cette image de fin, dans Spring day reflète finalement le tournant pris par le groupe au sein de la société coréenne, dénonçant l’affaire du naufrage implicitement et bien plus. On ne peut pas faire machine arrière sur ce qui s’est produit mais on peut faire en sorte de ne pas reproduire les mêmes travers, finalement on quitte un hiver pour rentrer doucement dans le printemps.
#Yuki : Si le titre de la nouvelle est bien « Ceux qui partent d’Omelas, » il semble que ceux-ci ne soient qu’une minorité des habitants. L’autrice insiste aussi sur le fait que ce choix de quitter la cité est individuel (“Chacun s’en va seul”, “Chacun seul”) en opposition à la communauté qui continue en majorité à résider à Omelas. L’élément déclencheur est toujours le même : l’enfant. En effet, il est dit qu’ “il arrive parfois qu’un des adolescents, filles ou garçons, qui vont voir l’enfant ne rentre pas chez lui en pleurs ou en colère, ne rentre, en fait, pas du tout chez lui. Quelquefois aussi un homme ou une femme bien plus âgée garde le silence pendant un jour ou deux, puis quitte son foyer.” Les profils de ceux qui partent sont divers, de tous genres et de tous âges. Pourtant toutes et tous semblent partager la volonté de ne pas laisser son bonheur dépendre de telles horreurs. Mais c’est impossible au sein de la cité car sinon “toute la prospérité et la beauté et les délices d’Omelas se flétriraient et seraient détruits” et cela engendrait non plus le malheur d’une seule personne mais de toute la communauté. C’est ce qui motivent le choix de “ceux qui partent.” Pourtant on peut se demander s’il est vraiment possible de prendre un nouveau départ. En effet, si quitter physiquement Omelas peut permettre d’expérimenter un bonheur qui ne repose pas sur l’enfant, dans quelle mesure ces anciens habitants peuvent-iels oublier les atrocités auxquelles iels ont assisté ? Est-il réellement possible de sortir d’Omelas ? Peu importe où qu’iels aillent, la prise de conscience est faite et de ça il n’est plus possible de vivre sans le savoir. Les habitants d’Omelas, tout comme les Coréens lors du scandale du Sewol, n’ont pas eu d’autre choix que de prendre conscience des horreurs qui ont été perpétrées. Il est alors question d’apprendre à vivre avec, afin d’espérer non pas les oublier ou les fuir mais au contraire les commémorer alors que continuent d’arriver de nouveaux printemps.
#Gold : Afin de savoir si quitter Omelas permet d’espérer l’arrivée du printemps, il faut comprendre pourquoi Omelas ne l’est pas et pourquoi l’extérieur d’Omelas l’est. Vivre à Omelas, c’est vivre avec ses regrets et ses remords, c’est vivre dans une vie d’illusion dans laquelle on ne peut réellement s’épanouir. C’est vivre dans le mensonge et se mentir à soi-même pour permettre à d’autres, à une ville entière, d’atteindre un possible bonheur. À l’inverse, partir d’Omelas, c’est faire le choix de se libérer de ses fautes et de ses tares, de ne plus être un acteur, aussi indirect soit-il, à la torture quotidienne d’un enfant séquestré. C’est pouvoir vivre sans assimiler son bien-être à l’oppression d’un être innocent. C’est vivre pour soi et pas pour un tiers. Pour moi, vivre à Omelas, c’est prendre le choix de vivre dans un hiver éternel tandis que quitter Omelas, c’est se donner la chance de vivre dans un printemps ensoleillé.
Article écrit par l’équipe de la Bibliothèque mauve : #Yuki, #Sukoomin, #Mochi, #Gold et #Coco
Crédits : Aux douze vents du monde, d’Ursula K. Le Guin, éditions Le Belial, 2018 , Wikipedia
Crédit photos : Hybe Labels, YouTube, extraits du MV Spring Day diffusé sur YouTube