Wings et Demian : se perdre dans la quête de soi

À la suite de plusieurs drames survenant autour de lui, Hermann Hesse plonge dans un intense travail d’introspection avec l’aide du docteur Josef Lang. Ce dernier étant un des élèves du célèbre Carl Jung, connu pour ses travaux sur la quête de l’exploration intérieure vers la complétude, de la psychologie Jungienne ou psychologie analytique. C’est de cela que découlera, en 1919, Demian, un roman initiatique. On y suit la vie de Emile Sinclair, qui, suite à sa rencontre avec Max Demian, quitte le foyer familial traditionnel, pour se trouver lui-même et créer son propre chemin. Il croisera des figures inspirantes, comme Pistorius et Eve.
À l’instar de Hermann Hesse et de Sinclair, The Most Beautiful Moment in Life (화양연화) et Wings représentent chez BTS leur cheminement personnel vers la compréhension de soi, qui se traduit par l’affrontement de leurs parts sombres mais aussi de confrontation au monde qui les entoure.
Cela est d’autant plus marquant / frappant lorsque l’on constate que l’œuvre de Hesse influence profondément Wings, et que la réflexion portée par le septuor s’inscrit dans une démarche marquée par la psychologie jungienne.
Boy Meets Evil : la rencontre
Première chanson de Wings, Boy Meets Evil donne le ton pour le reste de l’album. Nous voilà plongés dans un univers plus sombre, plus sophistiqué aussi dans son esthétique. Les thématiques frappent par leur gravité et leur dureté : on y parle du Mal, d’amour perdu, de péchés et de tentation. Une introduction au reste de l’album, qui aborde l’âge décisif du passage à l’âge adulte, marqué par des émotions intenses et contradictoires.
Les premiers mots de Boy Meets Evil traduisent bien cette période de bouleversements : Elle commence à s’assombrir, la lumière de mon futur. Une différence symbolique entre la lumière et l’obscurité, qui traduit l’opposition entre bien et mal.
Dans Demian, le personnage d’Emile Sinclair utilise très souvent cette métaphore lumineuse. Il commence son récit en exposant les deux parties d’un même monde :
"Personne n’est jamais parvenu à être entièrement lui-même ; chacun cependant tend à le devenir, l’un dans l’obscurité, l’autre plus dans la lumière, chacun comme il le peut"
Demian | Introduction
Sinclair décrit son foyer comme étant dans la lumière. Entouré de sa famille, à l’abri du monde dans sa maison d’enfance, il y est en sécurité. Mais assez jeune, il se rend compte qu’il y a un autre monde, dominé par la violence, rempli de choses « belles et terribles, sauvages et cruelles » (chapitre 1), qui lui sont évidemment interdites.
C’est la première rencontre que Sinclair fera avec le « mal ». Une rencontre encore extérieure, qu’il observe par sa fenêtre et se fait raconter par sa domestique Lina. Tous les short films des chansons de Wings sont accompagnés d’un extrait de Demian, lu par RM. Dans Boy meets Evil, RM lit ce passage qui décrit parfaitement le moment de la rencontre avec le Mal : « Mon péché n’était pas l’un ou l’autre, il consistait dans le fait d’avoir tendu la main au Diable. Maintenant le Diable me tenait par la main ; maintenant mon ennemi était à mes trousses » (chapitre 1). Une fois la rencontre faite, son destin est inévitable : il basculera pleinement dans ce monde obscur, succombant aux tentations autrefois défendues, mais qui le satisferont pendant un temps. Boy Meets Evil décrit aussi cette ambivalence « Tellement mauvais mais c’est tellement doux / C’est tellement doux, c’est tellement doux ».
Begin : la naissance
"Lorsque j'avais 15 ans, je ne possédais rien Le monde était si grand et j'étais tellement petit"
Jungkook | Begin | 2016
À l’instar de Sinclair, Jungkook évolue d’abord dans un monde qu’il perçoit comme sécurisant et lumineux. Sinclair parle de son foyer familial comme d’un univers ordonné, baigné de clarté : « Une lumière plus douce l’éclairait ; la clarté et la propreté le caractérisaient. » (Chapitre 1)
Ce monde sécurisé est joué par ses hyungs, les membres de BTS, qui deviennent son refuge, sa famille de substitution. Ils sont les garants de cette innocence, ceux qui lui permettent de développer ses émotions et de se construire.
Cependant, comme Sinclair, Jungkook ne peut rester enfermé éternellement dans ce cocon. Le monde extérieur, plus cruel, fait irruption sous la forme d’émotions douloureuses et de confrontations à la tristesse et à la souffrance. Jungkook exprime ce tiraillement
"Je ne peux supporterDe vous voir pleurerJ'ai l'impression de mourir lorsque hyung est triste."
Jungkook | Begin | 2016
Cette transition symbolise le passage d’un monde d’enfance protégé à celui d’adulte, complexe et ambivalent. On retrouve ces deux mondes bien distincts dans Demian avec le foyer de Sinclair et lorsqu’il en sort « Deux mondes se croisaient ; deux pôles venaient le jour et la nuit. » (Chapitre 1)
Jungkook n’est pas directement confronté à cette noirceur dès le début ; il la vit à travers les expériences et les douleurs de ses hyungs, ce qui accentue encore son besoin d’apprendre et d’être guidé. Les membres ont le rôle de mentors, semblables à Demian, Pistorius ou encore Ève pour Sinclair. Ils sont ceux qui tendent la main à Jungkook, l’aident à grandir et à accepter ses propres failles.
"Je t'aime mon frère, merci à vous mes hyungsJ'ai pu développer mes émotions, j'ai pu devenir ce que je suis."
Jungkook | Begin | 2016
De même que Sinclair a besoin de figures spirituelles pour évoluer, Jungkook ne devient lui-même qu’à travers ce regard, cette protection, puis cet apprentissage par ses hyungs. C’est à travers eux qu’il découvre que la douleur fait partie intégrante de son développement à l’âge adulte.
Tout au long de l’histoire, l’image d’un épervier revient avec insistance, notamment sur la chemise de Jungkook, ou encore sur la feuille qu’il glisse dans une enveloppe. Cet oiseau est directement inspiré du passage central de Demian :
« Ces vestiges sont souvent très intéressants. Je crois que c’est un épervier. »
« L’oiseau doit briser sa coquille ; un monde doit naître. » (Chapitre. 5)
L’oiseau symbolise à la fois l’éveil intérieur de Sinclair et celui de Jungkook. Les ailes qui apparaissent à la fin du short film sont la métaphore de ses premiers pas vers une existence autonome, bien qu’encore hésitante et fragile. Jungkook quitte peu à peu son cocon, son lit (lieu de cauchemars, comme ceux de Sinclair), et avance vers l’inconnu.

Lie : en quête de vérité
Si Begin représente le monde de la lumière et de l’innocence, Lie représente celui de l’ombre, de la transgression. Ce monde sombre est vu par Sinclair comme autant attirant qu’effrayant.
Cette attirance pour l’interdit est au cœur du short film de Lie. On y voit Jimin isolé dans une chambre blanche, aseptisée, qui rappelle un hôpital psychiatrique, lieu de silence, d’enfermement et de perte de repères. Une pomme apparaît. Elle symbolise à la fois la tentation biblique et la chute. Lorsque Jimin croque ce fruit, il marque un passage décisif : celui de l’innocence à la conscience.
"Parfois c’était dans le monde défendu qu'il m’était le plus agréable de vivre et le retour dans le monde permis - bien qu’il fût salutaire et nécessaire – m’apparaissait presque comme le retour dans un monde moins beau, ennuyeux, moins vivant"
Demian | Chapitre 1
Dans le roman, le basculement de Sinclair commence avec une histoire inventée : pour impressionner ses camarades, il prétend avoir volé des pommes. Ce mensonge attire l’attention de Kromer, qui le fait chanter en lui demandant de l’argent contre son silence auprès du fermier qui s’est fait voler des pommes. Ce chantage enferme Sinclair dans une spirale de peur, de honte et de culpabilité. C’est à ce moment qu’il perd sa paix intérieure, c’est aussi ce qui déclenche son éveil.
Dans Lie, Jimin est lui aussi pris dans un mensonge dont il ne parvient pas à se sortir. Il éprouve une dissociation entre ce qu’il montre et ce qu’il ressent. Ce mensonge n’est pas seulement un faux récit adressé aux autres ; c’est un masque social imposé, un refus de regarder sa propre vérité. Il a perdu son innocence et s’enfonce dans les ténèbres du mensonge envers lui-même. “Piégé dans un mensonge / S’il te plaît retrouve l’innocent que j’étais / Je ne peux pas me libérer de ces mensonges”
"Je savais que maintenant j’avais un secret, que j’avais chargé ma conscience d’une faute dont je devais supporter les conséquences. Peut-être étais-je justement à un tournant. Peut-être qu’à partir de maintenant, j’appartenais à jamais au Malin ; peut-être étais-je condamné à partager des secrets avec des méchants, à dépendre d’eux, à devenir semblable à eux."
Demian | Chapitre 1
Dans le short film, la pomme représente le fruit défendu, tout comme dans le mythe d’Adam et Eve. Elle incarne la chute de l’innocence, la conscience du bien et du mal et la connaissance. On retrouve d’ailleurs la mention “EVA” sur une carte représentant cette pomme.
Mais dans Demian, le péché n’est pas condamné, il est nécessaire. La transgression devient un chemin, une étape. C’est une rupture avec les règles imposées afin de mieux se comprendre et s’accepter. Jimin, en croquant dans la pomme, reconnaît cette rupture. Il se confronte à sa propre souffrance, à la dualité entre ce qu’il est et ce qu’il devrait être. Il commence, comme Sinclair, sa descente dans un monde plus complexe, où il n’est plus question de bien ou de mal, mais de lucidité.
Stigma : culpabilité, transgression
Stigma pourrait être associée à la descente aux Enfers de Sinclair qui commence quasiment instantanément
"Pendant quelques instants, j’oubliai la crainte du lendemain ; je n’éprouvai plus que la certitude effrayante qu’à partir de ce moment mon chemin descendrait toujours et aboutirait aux ténèbres."
Demian | Chapitre 1
Par la suite, lui qui semblait jusqu’à présent regretter son acte, éprouva un sentiment dédaigneux à l’égard de son père
"Pendant l’espace d’un instant, j’éprouvai une sorte de mépris à l’égard de son ignorance [...] je me faisais l’effet d’un criminel que l’on a condamné pour avoir volé un petit pain alors qu’il aurait des crimes à confesser."
Demian | Chapitre 1
Puis par la sensation de ne plus appartenir au même monde
"Le cœur glacé, je dus voir se détacher de moi, et devenir passé, ma vie innocente et heureuse, et sentir l’autre vie pousser en moi des racines nouvelles, avides, qui m’attachaient au monde des ténèbres."
Demian | Chapitre 1
Tout cela ainsi que la première rencontre avec Kromer suite à l’incident, marquèrent un tournant dans sa vie, comme s’il ne pouvait plus se retourner. Et plus le temps passait, plus Sinclair s’enfonçait un peu plus
"J’avais alors atteint un état qui frisait la folie."
Demian | Chapitre 1
En parallèle, dans Stigma, V chante sur la souffrance qu’il ressent en raison de ses actions passées, notamment la culpabilité d’avoir fait quelque chose de mauvais. Il parle du fait de se sentir marqué, de porter une stigmatisation sur son cœur, une souillure morale qui l’empêche de se libérer de sa douleur. Elle montre également l’acceptation de soi à travers le processus douloureux de reconnaître et d’accepter ses faiblesses et ses erreurs.
« De plus en plus profonde, cette blessure ne devient que plus profonde / Comme des morceaux de verres irrémédiablement brisés / Plus profond, mon cœur n’en est que plus blessé chaque jour. »
Nous pouvons aussi tirer une similitude entre le short film où le personnage incarné par V libère sa sœur de l’emprise de leur père et n’a pas d’autre choix que d’accepter et de vivre avec son erreur.
"Je ne peux que me sentir désolé Je suis désolé Je suis désolé, je suis désolé Je suis désolé, je suis désolé Je suis désolé ma sœur Ça ne peut être effacé même si je le cache et le dissimule Alors pleure S’il te plaît sèche mes larmes.."
V | Stigma | 2016
Si Begin représente le monde de la lumière et de l’innocence, Lie représente celui de l’ombre, de la transgression. Ce monde sombre est vu par Sinclair comme autant attirant qu’effrayant.
Cette attirance pour l’interdit est au cœur du short film de Lie. On y voit Jimin isolé dans une chambre blanche, aseptisée, qui rappelle un hôpital psychiatrique, lieu de silence, d’enfermement et de perte de repères. Une pomme apparaît. Elle symbolise à la fois la tentation biblique et la chute. Lorsque Jimin croque ce fruit, il marque un passage décisif : celui de l’innocence à la conscience.
"Parfois c’était dans le monde défendu qu'il m’était le plus agréable de vivre et le retour dans le monde permis - bien qu’il fût salutaire et nécessaire – m’apparaissait presque comme le retour dans un monde moins beau, ennuyeux, moins vivant"
Demian | Chapitre 1
Le parcours de Sinclair le fait s’éloigner au fur et à mesure de ses parents et de ses sœurs, et vit une vie de souffrance semblable à celle de V. Cependant, même s’il se sent coupable de mentir, il cède facilement aux tentations qui se trouvent sur son chemin. Demian lui enseigne que le bien et le mal coexistent en lui, et que pour être complet, il doit embrasser sa propre dualité, il doit accepter ses erreurs.
"Je sentais très nettement que d’autres fautes suivraient ma faute, que mon apparition dans le cercle familial, le salut que j'adresserais à mes sœurs, le baiser que je donnerais à mes parents, ne seraient que mensonge et que je portais, cachés en moi, une destinée et un secret. [...] Mes sœurs m’étaient devenues complètement étrangères"
Demian | Chapitre 1
Dans le chapitre “Caïn”, un nouveau personnage fait son apparition, Max Demian. Il est décrit par Sinclair comme un personnage que l’on n’arrive pas vraiment à déchiffrer (âge, religion, comportement, pensée). Demian remarque un blason représentant un épervier figurant au-dessus de la porte d’entrée de la maison de Sinclair. L’épervier est un oiseau de proie, un chasseur qui ne dépend de personne. C’est l’opposé de la soumission. Pour Sinclair, il deviendra un symbole du désir de s’affranchir des règles imposées par la société, la religion ou la famille.
Caïn est une figure qui revient très fréquemment tout au long du roman. En effet, ce dernier est mentionné lors d’un cours de religion, l’histoire de Caïn et Abel y est au cœur et un lien se fait entre le récit biblique et le blason. Sinclair serait-il Caïn ou l’un de ses fils ? Plus tard, une discussion entre Sinclair et Demian prend place quant à la marque que Sinclair sur le front d’après les propos de Demian.
"-Tu as certes changé, mais tu as le signe. - Le signe ? Quel signe ? Nous l’appelions autrefois le signe de Caïn, si tu t’en souviens bien, encore. C'est notre signe, tu l’as toujours eu sur le front, c’est pourquoi je suis devenu ton ami. Mais il est plus net maintenant."
Demian | Chapitre 7
Au fil du livre, le stigmate (au sens de stigmatisation) évolue : d’abord une marque négative associée à autrui — comme celle de Caïn, figure du meurtrier dans la Bible —, il devient progressivement un symbole personnel pour les personnages. Ce signe, autrefois synonyme d’exclusion, se transforme en un marqueur de reconnaissance entre ceux qui aspirent à une autre forme de spiritualité ou cherchent un chemin vers la libération. Il devient alors un signe de ralliement au sein d’une communauté d’esprit. Pour Sinclair, cette transformation prend l’allure d’une quête initiatique qu’il devait accomplir seul, tandis que Demian attendait qu’il parvienne à cette prise de conscience par lui-même. À noter que ce signe permet également à Knaeur de le remarquer et d’éprouver une fascination envers notre protagoniste : “Au cours des récréations, j’avais remarqué qu’un camarade auquel je n’avais pas fait attention jusque-là, recherchait ma présence […] Ah ! Ne sois donc pas si mystérieux ! je sens très bien qu’il y a quelque chose de particulier en toi. On le voit dans tes yeux.” (chap 6)
Dans le short film de Stigma, nous pouvons entendre RM à la narration dire : “Un premier coup porté au pilier auquel mon enfance s’était appuyée, pilier que tout homme doit détruire, s’il veut devenir lui-même. On se remet d’un tel déchirement ; on l’oublie, mais au plus secret de nous-même, la blessure continue à vivre et saigner.” (chapitre 1) Cela illustre parfaitement le parallèle entre Sinclair et V. Tandis que le premier est confronté à son premier mensonge, V, lui, se fait arrêter par la police, il est ensuite placé seul dans une pièce sombre semblable à une salle d’interrogatoire et doit faire face à ses crimes et délits.
First Love : attachement, peur et solitude
Suga et Sinclair vivent tous deux une cassure profonde, marquant la fin d’une période de leur vie. Pour Suga, cette rupture concerne son premier amour : son piano brun. Pour Sinclair, elle touche à la fois son foyer et le monde protecteur de sa mère. Tous deux expérimentent un basculement vers une nouvelle réalité, plus adulte, marquée par la perte de l’innocence. Chez Sinclair, ce passage se manifeste par un sentiment de solitude intérieure et de responsabilité nouvelle : “Elle avait un arrière-goût âpre, car elle était accompagnée d’un sentiment nouveau de responsabilité et annonçait la fin de l’enfance et la solitude intérieure.” (chapitre 3) Il prend conscience qu’il ne peut plus revenir à la simplicité de son ancienne vie. Il se retrouve pris entre deux mondes : celui de l’enfance et de l’illusion, et celui de l’adulte et de la réalité. Hanté par ce qu’il a perdu – la relation idéale avec sa mère, la pureté de son amour pour Béatrice – il cherche à comprendre qui il est réellement.
De manière similaire, Suga exprime la difficulté de laisser partir ce premier amour musical et son désir nostalgique de revenir en arrière. Tous deux sont confrontés à la douleur du passage à l’âge adulte, à la perte d’un idéal, et à la quête d’une identité nouvelle.
"Je me souviens du tempsPendant mes années de collègeOù je suis devenu plus grand que toiJe t'ai négligé, toi que je t'aimais tantCette image de toi, abandonnéLes touches couvertes de poussièreJe ne saisissais toujours pas ton importanceParce que peu importe où j'allais, tu étais làMais je ne savais pas que c'était la fin. [...] Je me souviens du tempsOù j'étais fatigué, égaré et plongé dans un gouffre de désespoir."
Suga | First Love | 2016
Dans ce short film, la narration de RM se traduit par : Il est bien des voies par lesquelles Dieu nous guide vers la solitude et vers le chemin qui conduit à nous-même. Ce chemin, il le parcourait alors avec moi.” (chapitre 4)
La différence entre First Love et Demian c’est que le premier amour de Suga est représenté par un piano brun, tandis que celui de Sinclair est Béatrice et la mère de Demian. Dans cette vidéo, Suga joue Begin au piano, symbole que nous pourrions associer à la naissance de l’amour de Sinclair pour ces deux femmes. Notons également la présence du sifflement dans le short film qui fait écho au sifflement de Kromer dans le roman. Ce dernier représente la peur, la culpabilité, et l’entrée dans le monde obscur.
Bonus : Dans une lecture jungienne, Kromer incarne l’ombre (Shadow) de Sinclair: la partie de lui qu’il ne veut pas reconnaître, celle qui est capable de mentir, de faire du mal, d’agir contre les règles.
Reflection : le reflet du doute
Au travers de Reflection, RM partage beaucoup de points communs avec Sinclair, notamment celui de la solitude. Ils observent les autres, qui semblent tous savoir qui ils sont et où ils vont, tandis qu’eux errent sans direction claire. RM l’exprime ainsi : « Ils semblent tous savoir où est leur place / et je suis le seul errant sans but. » Cette solitude est profonde, c’est un sentiment d’être fondamentalement différent, en marge. Sinclair, lui aussi, évoque ce décalage : « J’étais un étranger parmi eux. » Même lorsqu’il tente de se conformer, il se sent toujours à l’écart. « J’étais solitaire, plein d’une nostalgie brûlante et sans espoir à l’égard de l’amour, alors que, d’après mes paroles, j’aurais dû être un viveur invétéré. » (Chapitre 4)
Ce rejet du monde extérieur se manifeste aussi visuellement dans le short film de Reflection. RM se bouche les oreilles, comme pour refuser d’entendre le monde extérieur ou pour s’isoler afin de mieux écouter ce qui résonne en lui. Ce sentiment d’isolement s’accompagne d’un profond doute. Tous deux traversent un moment de remise en question de leur identité, où la frontière entre le bien et le mal, le vrai et le faux, devient floue. Ils oscillent entre deux mondes : celui du conformisme et celui, plus obscur, de l’introspection. Un tiraillement entre l’envie d’aller mieux et les pensées sombres. « J’étais sujet à des accès de mélancolie et désespoir qui me rongeaient. »
"Je veux pouvoir être fier de moiMais tu sais, parfois, je me hais vraimentEn fait, je me déteste assez souvent."
RM | Reflection | 2016
Ces doutes sont représentés par le titre de la chanson : Reflection. Mais ce titre est à double sens, il peut également signifier le reflet, celui qu’on peut voir au travers d’un miroir. C’est l’espace de la confrontation avec soi-même, un lieu à la fois révélateur et douloureux. RM se regarde, se juge, doute. Il cherche à comprendre qui il est réellement. Chez Sinclair aussi, le miroir est une surface déformante, qui reflète autant ce qu’il est que ce qu’il fuit. Il doit affronter ses peurs, ses zones d’ombre, pour accéder à une forme de vérité intérieure.
Dans Demian, le premier bouleversement de Sinclair survient lorsqu’il ment. Ce mensonge, loin d’être anodin, marque sa première rupture avec le monde qui l’entoure. Il ne ment pas seulement aux autres, il commence aussi à se questionner sur lui-même. À partir de là, naît une tension intérieure qui ne cessera de le hanter : celle de l’écart entre ce qu’il paraît être et ce qu’il est profondément.
Dans Reflection, cette même tension se traduit symboliquement par un mot inscrit sur une cabine téléphonique : “LIAR” (menteur). Son emplacement, sur un outil de communication, suggère une difficulté à dire la vérité, ou à l’entendre. On peut y voir une métaphore du reflet faussé : RM se regarde, mais ne parvient pas à s’accepter tel qu’il est.

RM essaie de reprendre le contrôle sur l’image renvoyée par son reflet grâce au tatouage en forme d’épervier, le même que celui qu’on retrouve dans Begin. Tout comme Jungkook et Sinclair, RM, au travers de cet oiseau, tente de renvoyer une image de liberté et d’indépendance. En Corée du Sud, le tatouage reste encore aujourd’hui mal perçu. Cela peut donc aussi être une forme de réappropriation de son image et de refus des normes sociales qui lui sont imposées. Cela fait écho à Sinclair qui cherche également à se défaire des normes pour trouver sa propre voie.
Pour Sinclair, tout comme RM, le but final de leur quête est avant tout d’apprendre à s’aimer. Dans Reflection, RM confie “I wish I could love myself”, une phrase déchirante qui cristallise son conflit intérieur. Il tente de se libérer de ses chaînes mais sans y parvenir. Il aimerait s’aimer mais n’y arrive pas encore. On peut retrouver symboliquement ces chaînes sur la cabine téléphonique dans le short film de Reflection. Elles entourent la cabine comme pour empêcher RM d’accéder au téléphone lui permettant de s’exprimer et d’entendre le reste du monde.
Lors des concerts de BTS, les ARMYs répondent à cette phrase en chantant “We love you”. Un symbole fort qui démontre le lien unique entre les ARMYs et BTS. C’est une tentative de briser le cercle du rejet de soi, en lui offrant ce qu’il peine encore à se donner : l’amour.
MAMA : lettre d’amour maternelle
MAMA est avant tout une lettre d’amour de J-Hope à sa mère, qui l’a soutenu sans relâche pour qu’il réalise son rêve. Ce soutien ne s’est pas fait sans douleur : son père s’y opposait, l’équilibre familial était fragilisé, et les difficultés financières ont poussé sa mère à déménager pour travailler dans une autre ville. Pourtant, elle n’a jamais cessé d’être un pilier pour J-Hope. “L’argent étant le problème, ma mère est finalement / (Partie) / Allée travailler dans une autre ville”
J-Hope exprime au travers de MAMA toute la reconnaissance qu’il porte envers sa mère. C’est grâce à elle qu’il est devenu qui il est aujourd’hui, et c’est d’elle qu’il tire sa force. Mais il exprime également une douce culpabilité. Celle d’avoir réalisé tardivement tout ce que sa mère a enduré pour lui.
"Je suis désolé maman D'avoir réalisé l'immensité de ton amour seulement maintenant, maman Parce que tu m'as tout donné Parce que tu étais mon soutien"
J-Hope | MAMA | 2016
Cette prise de conscience marque une étape dans le passage à l’âge adulte : on réalise un jour que nos parents ne sont pas des figures idéales, mais des êtres humains, fatigués parfois, courageux souvent, silencieusement en lutte pour nous donner le meilleur.
Ce mouvement de reconnaissance et d’indépendance fait écho à Demian. Sinclair, dès l’enfance, trouve dans sa mère un endroit où se réfugier, où il est en sécurité. C’est une figure tendre et protectrice du monde lumineux. Mais pour grandir, il doit quitter ce cocon familial, explorer le doute, la tentation, et le monde sombre. L’amour maternel reste alors un point d’ancrage, mais il doit suivre son propre chemin.
"Ma mère s'approchait de moi avec une tendresse particulière, comme si, d’avance, elle eut voulu prendre congé de moi, comme si elle eut voulu s’efforcer de graver dans mon cœur à tout jamais l’amour, le regret du foyer que j’allais quitter."
Demian | Chapitre 3
Le short film de MAMA s’inscrit dans cette même dynamique : très coloré, presque euphorique par moments, il montre un J-Hope perdu dans un monde étrange. Il traverse un hôpital psychiatrique, est entouré de pilules, semble coincé dans une boucle. Ce n’est pas la joie qui domine, mais l’ambivalence : celle d’un fils reconnaissant mais marqué par sa culpabilité.
L’élément central du clip est un tableau représentant une femme qui enlace un enfant, sur lequel est inscrit le mot Eva. Ce nom évoque à la fois Ève, personnage central de la Bible, mais aussi Frau Eve, la mère de Demian. Cette dernière incarne une figure maternelle spirituelle, mais aussi un idéal mystique, l’âme éveillée que Sinclair cherchait depuis le début de son voyage intérieur. Elle est aussi une projection de l’anima, cette part féminine de l’âme que Carl Jung associe à la complétude intérieure.
"Le visage de la belle et vénérable femme, sans âge comme celui de son fils, et profondément empreint de volonté, me souriait amicalement. Son regard signifiait accomplissement de mes vœux ; son salut, bienvenue au foyer. En silence, je lui tendis les mains."
Demian | Chapitre 7
Ce passage se retrouve également au début du short film de MAMA, dicté par RM. Dans ce passage, le retour au foyer n’est plus seulement physique, il est intérieur. Il marque la fin d’un voyage spirituel, d’une boucle de douleur, mais aussi une acceptation de ce qui lui a permis d’en arriver là. MAMA ne parle donc pas uniquement de gratitude. C’est une lettre d’amour d’un fils envers sa mère, un adieu à l’enfance.
Awake : transcender la dualité
Sinclair est confronté à la tentation dès son jeune âge, notamment à travers le personnage de Kromer, qui l’entraîne dans le mensonge et la culpabilité. Cette expérience marque le début de sa prise de conscience du « monde obscur ».
De même, dans Awake, Jin est entouré d’objets symbolisant les tentations vécues par les autres membres de BTS : la pomme pour Jimin, le miroir pour RM, la peinture pour J-Hope, le piano pour Suga, le tableau de l’épervier pour Jungkook et les cicatrices sur la porte pour V.
Au cours de ses études, Sinclair découvre la figure d’Abraxas, une divinité qui unit le bien et le mal, la lumière et l’ombre, fait également partie de cette tentation.
Au cours de ses études, Sinclair découvre la figure d’Abraxas, une divinité qui unit le bien et le mal, la lumière et l’ombre, fait également partie de cette tentation.
L’œuf symbolise le monde familier et protecteur qu’on peut voir dans Begin. L’oiseau qui en émerge représente l’individu en quête de vérité et de réalisation de soi, prêt à affronter les contradictions du monde pour atteindre une conscience supérieure.
"L'oiseau cherche à se dégager de l'œuf. L'œuf est le monde. Celui qui veut naître doit détruire un monde. L'oiseau prend son envol vers Dieu. Ce Dieu se nomme Abraxas."
Demian | Chapitre 5
Cependant, Jin ne succombe pas à ces tentations ; il les observe, marquant ainsi sa prise de conscience.
La lucidité de Sinclair atteint son apogée lorsqu’il reconnaît la dualité du monde et accepte la coexistence du bien et du mal en lui. Il réalise que pour grandir, il doit embrasser cette dualité.
Jin exprime une prise de conscience similaire. Les paroles de Awake reflètent une acceptation de ses limites tout en exprimant le désir de les transcender, illustrant ainsi la lucidité et la volonté de croissance.
"Mais c'est mon destin / C'est mon destin / Mais je veux toujours me battre" "Peut-être que je ne pourrai jamais voler / Comme ces pétales de fleur / Comme si j'avais des ailes mais je ne peux pas / Peut-être que je ne pourrai jamais toucher le ciel / Mais je veux quand même tendre ma main / Je veux essayer de courir encore un peu."
Jin | Awake | 2016
Blood, Sweat & Tears : céder à la tentation
Demian et Blood, Sweat & Tears, ce sont des histoires de personnages qui succombent, tiraillés par des plaisirs éphémères, qui s’avèrent douloureux. La tentation est toujours douce-amère. La fascination pour une figure douce et sensuelle se mêle à la conscience de la souffrance que va occasionner cette relation. Sinclair partage cette relation ambiguë avec sa vie de « débauche » : “Ce flot de sentiments et d’impulsions étranges étaient en moi, me faisaient mal, mais me remplissaient de fierté, aussi.” (chapitre 2).
"Tue-moi en douceurFerme mes yeux avec tes caressesJe ne peux plus te résister de toute manièreJe ne peux plus m'enfuir"
BTS Blood Sweat & Tears | 2016
Par ailleurs, le personnage de Demian incarne également cette figure du tentateur. Tout au long du roman, Demian est aux côtés de Sinclair dans sa quête, jouant à la fois un rôle de libérateur, car Sinclair finira par trouver un chemin pour être libre ; et un rôle plus cruel, car c’est lui qui poussera Sinclair à tout remettre en question, et à souffrir dans le processus. La manière qu’à Sinclair de décrire Demian comme un « mélange de volupté et d’angoisse » (chapitre 2), est également assez proche des sentiments convoqués dans Blood, Sweat & Tears : « Des joues et des ailes en chocolat / Mais tes ailes sont celles du diable ».
Au niveau visuel, Blood, Sweat & Tears et Demian s’inscrivent dans une imagerie religieuse assez présente. Le parcours de Sinclair est émaillé de références religieuses. Il vient lui-même d’une famille pratiquante, fréquente les églises. Dans ses discussions, il est aussi beaucoup question de figures divines ou diaboliques. Dans le MV de Blood, Sweat & Tears, BTS cite beaucoup d’œuvres d’art, et notamment des œuvres liées à la religion. Jin passe ainsi beaucoup de temps à contempler « La chute des anges rebelles » de Brueghel mettant en scène la bataille entre les anges et les démons, une évocation très claire de la lutte perpétuelle entre le bien et le mal. Dans la scène du banquet, BTS évoque la Cène, le dernier repas du Christ avec ces 13 disciples, avant sa mise à mort. C’est lors de ce repas que le Christ annonce qu’un des disciples, Judas, l’a trahi et dénoncé aux romains. Enfin, j-hope danse devant une sculpture de Michel Ange, la Pietà, qui représente la Vierge serrant dans ses bras son fils Jésus-Christ après sa mort sur la croix.

Blood, Sweat & Tears et Demian sont des récits initiatiques, qui abordent la thématique du passage à l’âge adulte. Une période de la vie complexe mais essentielle, où chacun.e doit faire ses propres expériences pour se trouver et se construire. Expériences qui peuvent s’avérer douloureuses, car cela passe souvent par un éloignement des valeurs familiales, pour tester des chemins interdits ou dangereux, et mettre fin à une certaine innocence. Mais ce parcours forge la personnalité de chacun.e, et en finalité, nous apprend à accepter nos parts d’ombre et nos faiblesses. Une constatation à laquelle arrive Sinclair, « Rien ne coûte plus à l’homme que de suivre le chemin qui mène à lui-même » (chapitre 2).
Crédits Admins : #M, #Kore, #Baem, #Nyx
Crédits Images : MV de Blood Sweat & Tears, Short film de Reflection, Short film de Begin, LivreDePoche
Sources : Demian (livre physique), BTS ARMY FRANCE (traduction chansons), Wings shorts films