Bangt’art #1 : Blood Sweat & Tears
Article écrit par #Nyx
Les œuvres d’art en tout genre ont toujours eu une place importante dans le travail de BTS. Les albums du groupe sont connus pour être riches de références, piochant dans la philosophie, la science, la littérature… Leurs textes convoquent des romans, des films, des séries ou bien d’autres artistes. Dans plusieurs MVs, les yeux les plus attentifs auront repéré des œuvres d’art ou des monuments célèbres. Certains membres sont eux-mêmes amateurs (on connaît l’admiration de Taehyung pour Van Gogh), ou même collectionneur d’œuvres d’art. J-Hope a ainsi collaboré avec l’artiste KAWS pour la pochette de son album Jack in the Box. Et inutile de rappeler que Namjoon parcourt tous les musées du monde lors de ses voyages, et qu’il possède lui-même une collection d’œuvres, dont certaines ont été exposées à la Biennale de Venise en avril 2024.
Alors, bienvenue dans Bangt’art, une série d’articles sur les œuvres d’art présentes dans les MVs ou les chansons de BTS ! Ce premier article vous emmènera dans le MV de Blood Sweat & Tears, sorti le 11 octobre 2016, à la découverte de quelques œuvres d’art qui s’y cachent ! Voici également une version vidéo de Bangt’art, qui est complémentaire à l’article !
Blood Sweat & Tears : les affres du passage à l’âge adulte
Dans la carrière de BTS, Wings marque le début d’une ère plus mature, dans ses thématiques et son esthétique. Le groupe explore des concepts plus sombres et complexes, inspirés d’ouvrages littéraires mêlés de philosophie, notamment Demian de Hermann Hesse.
A travers Wings, le groupe s’intéresse au passage à l’âge adulte. Une période de la vie où l’on vole enfin de ses propres ailes, grisé par cette liberté nouvellement acquise. C’est un passage fondateur, où l’on quitte l’innocence pour se confronter à la réalité du monde et des autres. C’est aussi le moment où l’on se sent libre de tenter de nouvelles expériences, pour le meilleur comme pour le pire. Ce sont des années de doutes, de découvertes, d’apprentissage, de joies et de peines, indispensables pour se découvrir et révéler pleinement sa personnalité.
Le MV de Blood Sweat & Tears impressionne par son esthétique luxueuse et distinguée. Les membres évoluent d’abord dans une salle de musée, entre les statues en marbre blanc éclatant et les toiles accrochées au mur. Les autres scènes se passent dans des pièces élégamment meublées, avec moulures au plafond, lustres et grandes baies vitrées. Le MV fait donc la part belle aux œuvres d’art, dont la présence n’est évidemment pas anodine…
Plus dure sera la chute : le mythe d’Icare
Wings. Le titre de l’album, signifiant « aile », évoque bien le passage à l’adulte. Ne dit-on pas « voler de ses propres ailes » lorsque l’on prend son indépendance ? Les ailes symbolisent la liberté, l’indépendance et les rêves, parfois inaccessibles. Pourtant, on dit aussi « se brûler les ailes », quand on dépasse ses limites et qu’on en paye les conséquences. Cette expression nous vient de la mythologie grecque : le mythe d’Icare. Mythe qui n’est autre que le sujet principal de deux peintures présentes dans le MV de Blood Sweat & Tears.
Icare est le fils de Dédale, l’architecte du Labyrinthe, où est caché le Minotaure. Suite aux multiples trahisons de Dédale auprès de son roi, ils sont tous les deux enfermés dans le Labyrinthe. Dédale conçoit alors des ailes pour lui et Icare, afin qu’ils puissent s’enfuir par les airs. Les ailes étant faites de plumes collées avec de la cire, il était impératif de ne pas voler trop près du soleil pour éviter de la faire fondre. Une fois en vol, Icare, grisé par leur évasion et la sensation de vol, se rapproche dangereusement du soleil. Ce qui devait arriver arriva : la cire de son harnachement fond et les plumes se décollent. Icare tombe du ciel, et finit par se noyer dans la mer.
Intéressons-nous à la peinture derrière V, qui semble sauter de la rambarde pour plonger dedans. C’est La Chute d’Icare, une œuvre de Pieter Brueghel l’Ancien, peinte vers 1600. A première vue, difficile de comprendre qu’on parle de mythologie grecque. Un paysan laboure son champ au premier plan, derrière lui, un berger fait paître ses moutons. Plus bas encore, il y a un pécheur. Et pourtant, près du pécheur, on trouve un élément singulier dans cette scène de campagne. Un homme à la mer, en train de se noyer. Eh oui, c’est bien Icare après sa chute. Brueghel choisit ici de représenter le mythe dans une scène de son époque, au cœur du 16e siècle, une pratique courante à cette période, que ce soit pour des scènes mythologiques ou bibliques. Mais surtout, c’est l’indifférence totale des personnages à la mort du jeune homme qui est marquante.
Le deuxième tableau représentant Icare est beaucoup plus visible, accroché derrière Jungkook. Il s’agit de The Lament for Icarus, peint par l’anglais Herbert Draper en 1898. On reconnaît Icare à ses ailes, qui sont magnifiques, mais qui font défaut au mythe originel puisqu’elles sont censées avoir perdu leurs plumes au cours du vol. Le corps d’Icare, brûlé par le soleil, s’est échoué dans un paysage aquatique, nimbé par la couleur chaude du soleil. L’accent est mis sur l’émotion de la scène, en se concentrant sur le chagrin des nymphes qui ont trouvé son corps.
Icare a voulu poursuivre un rêve éphémère. Par inconscience et sans écouter son père, il s’en est brûlé les ailes, littéralement. La tentation de réaliser un rêve, malgré la conscience du danger ou de la douleur qu’il peut apporter, nous ramène à Blood Sweat & Tears. La chanson décrit les sentiments du narrateur, qui succombe à quelqu’un, ou quelque chose, en sachant très bien à quel point cela va le détruire.
« Peu importe si ça me blesseJe ne peux servir personne d'autre que toiMême si j'en suis conscient, je bois le poison de ton calice »
BTS | Blood Sweat & Tears | 2016
Luttes divines : l’affrontement du Bien contre le Mal
La tentation à laquelle succombe le narrateur de Blood Sweat & Tears est présentée comme une figure ambivalente et trompeuse.
« Des joues et des ailes en chocolatMais tes ailes sont celles du diableAvant ta douceur il y a de l'amertume »
BTS | Blood Sweat & Tears | 2016
Dans l’histoire de l’art occidentale, la tentation a souvent été incarnée par une figure féminine. Dans la première salle du MV, on voit plusieurs fois apparaître une statue d’une jeune femme accroupie. C’est un type de statue qu’on appelle les « Vénus accroupie » ou « Vénus à la toilette ». Vénus, ou Aphrodite, est la déesse de la Beauté et de l’Amour. Elle a souvent détourné des héros de leurs objectifs, ou contribué à déclencher des guerres, comme la guerre de Troie.
Résister ou non à la tentation découle sur une thématique très représentée en histoire de l’art : la lutte entre le Bien et le Mal. À la fois présent dans l’imagerie chrétienne et mythologique, c’est un thème très représenté à des fins pédagogiques, pour inciter à choisir de faire le Bien et de s’abstenir de faire le Mal. C’est un choix qui se présente tout au long de la vie, selon des valeurs pas forcément aussi arbitraires que le Bien avec un grand B et le Mal avec un grand M. Le narrateur de Blood Sweat & Tears a choisi un chemin, et ne compte pas s’en éloigner.
« Peu importe si ça me blesseAttache-moi pour que je ne puisse pas m'enfuirSerre-moi fort et secoue-moiPour que je ne puisse pas reprendre mes esprits »
BTS | Blood Sweat & Tears | 2016
Le MV nous offre deux beaux exemples d’œuvres d’art centrées sur des personnages incarnant le Bien dans l’imaginaire collectif : les anges et les demi-dieux.
On voit ainsi Jin s’arrêter longuement devant une grande toile peuplée de créatures étranges. Il s’agit du tableau La Chute des anges rebelles, une autre toile de Brueghel l’Ancien, peinte en 1562. La scène est tirée de la Bible. Elle représente l’expulsion des « anges rebelles » du Ciel, c’est-à-dire tous les anges mauvais menés par le Diable, qui se sont rebellés contre l’autorité de Dieu. Le Paradis est représenté en partie haute du tableau, sur fond de ciel bleu. Les anges sont menés par l’Archange Michel, en armure dorée. Ils chassent les monstres à grands coups d’épées, pour les précipiter directement aux Enfers. Une peinture pleine de détails burlesques et bizarres, qui incarne la victoire des forces du Bien sur celles du Mal dans l’imagerie biblique.
Ce tableau occupe par ailleurs une place importante dans le MV. Présent dès la scène d’introduction, c’est la seule œuvre d’art à laquelle un des membres du groupe semble vraiment accorder de l’attention. Jin paraît fasciné, voire absorbé, par la bataille qui se joue, laissant penser qu’il est lui-même en proie à un dilemme moral. La figure des anges ressurgit à plusieurs reprises dans le MV, de la statue que Jin embrasse à l’apparition de V, tel un ange déchu, le dos meurtri par la perte de ses ailes.
Côté mythologie grecque, intéressons-nous à une sculpture : Persée avec la tête de Méduse, de Benvenuto Cellini (1553). Méduse était une mortelle, violée par le dieu Poséidon dans le temple d’Athéna, dont elle était prêtresse. Athéna a injustement punie Méduse pour cet acte, en la transformant en Gorgone, une créature à la chevelure faîte de serpents, et dont le regard pétrifie ceux qui la regarde. Persée, quant à lui, est un demi-dieu, fils de Zeus, qui espère sauver sa mère d’un mariage arrangé avec un roi. Ce dernier lui a promis qu’il n’épouserait pas sa mère si Persée lui ramenait la tête de Méduse. Après des péripéties et l’aide de plusieurs divinités, Persée parvient à trancher la tête de Méduse et délivre sa mère du mariage.
Cellini représente le moment exact où Persée brandit la tête décapitée de Méduse, qu’on reconnaît à sa chevelure de serpents. Il porte un casque, le casque d’invisibilité, qui lui a servi à approcher la Gorgone sans être changé en pierre. Étrangement, le visage de Persée et celui de Méduse se ressemblent beaucoup, comme si les notions de Bien et de Mal n’étaient finalement pas si éloignées…
Avec ses paroles empreintes de sensualité, Blood Sweat & Tears explore les sentiments d’un personnage qui s’abandonne à un plaisir éphémère, tout en sachant la souffrance que cela lui procure. Une métaphore de la fin de l’innocence, qui ouvre sur des tentations, des choix et des rêves, menant en finalité à la souffrance ou au bonheur. Une chanson servie par un MV à l’esthétique léchée, qui fait la part belle à des œuvres d’art. D’époques et de styles différents, elles illustrent et renforcent les concepts de cette riche era qu’est Wings, qui a beaucoup marqué à sa sortie pour son parti-pris artistique et intellectuel assumé.
Remarque :
Tous les passages cités dans cet article sont issus des traductions françaises proposées par BTS ARMY FRANCE.
Sources : Beyond the Story, artsandculture (analyse de La chute des anges rebelles, analyse de La chute d’Icare), Art comptant pour rien, ARMY Magazine