Indigo, RM sous toutes les coutures
Article écrit par #Mugunghwa
Kim Namjoon, alias RM, le leader de BTS, nous livre un premier album solo riche en contrastes. Une œuvre confidentielle, introspective, offerte au monde comme un témoignage, ultime archive de sa vingtaine, exprimant intimement sa quête d’authenticité. Une dentelle artistique délicate, sensible, intense et brillante. Tout comme son auteur.
L’art, au cœur de l’homme
Dépeindre Indigo sans parler de RM serait occulter la densité émotionnelle généreuse et la dimension profondément artistique de l’homme. Cet écorché vif n’a eu de cesse, tout au long de sa carrière, de brosser un portrait de la jeunesse, sublimant avec talent et finesse ses doutes, ses souffrances mais aussi ses passions, ses pulsions, ses espoirs.
Son appétence pour l’art, sous toutes ses formes, y est certainement pour beaucoup. En témoigne le livret de l’album, épuré et esthétique ; celui-ci se parcourt comme un catalogue d’exposition, celle d’une galerie rétrospective, les chansons faisant office d’archives. Ici, pas de photos souvenirs du groupe. Les quelques clichés qui représentent RM seul sont sobres, l’atmosphère est tamisée, les tons assourdis, les expressions du visage contemplatives ou discrètes, comme pour laisser libre court à l’interprétation. Et c’est ce que l’on retrouve dans le tableau de Yun Hyong Keun, ornant un mur de la pièce en page centrale entre autres. RM expliquait percevoir dans l’abstraction de cette œuvre une absence de signature artistique laissant place à l’imprévu, à l’interprétation, sans se définir précisément, ouvrant le champ de tous les possibles, de toutes les libertés. Cette ode à l’inattendu, au changement, se retrouve notamment dans la chanson Change Pt.2.
Plus largement, suivant fidèlement les préceptes de l’artiste peintre Yun, RM fait d’une introspection très personnelle le terreau d’une œuvre universelle. Parce que l’art véritable ne peut se nourrir que de l’expérience de son auteur, il rend hommage à cette pensée de la plus noble des manières, en nommant le premier titre de son album Yun. Son introduction laisse même la part belle à la voix originale de l’artiste. Ce qui symbolise parfaitement la démarche de RM sur cet album ; il sait combien le talent et le savoir d’autrui sont une source précieuse d’inspiration. Grâce à cela, en toute simplicité et complexité à la fois, RM s’exprime en toute honnêteté, décryptant avec précision ses ressentis et les méandres de son cœur. Car c’est lui aussi un artiste à l’état pur, à l’esprit fin. Un esthète des mots, des notes. Tout en lui est poésie.
L’omniprésence des cyanotypes dans le livret en atteste ; l’art réside dans le fait de rendre éternel tout ce qui peut sembler mort, fini, figé, cueilli. L’art révélant le vivant pour toujours. Souhaitant la même vocation à ses chansons… Les fleurs choisies sont toutes des fleurs sauvages, rappelant Wild Flower, titre phare de l’album. En camaïeu de bleu, tirant vers l’indigo… Une célébration de la nature, dans laquelle RM puise sa force, son énergie, au point de se comparer à une fleur sauvage, symbole de la fuite de l’artificiel. La voix déchirante de Youjeen, une des huit collaborations de l’album, susurre, gémit, hurle la volonté de délivrance, brise les chaînes du silence et intensifie la quête de la vérité. Et très justement, la pochette, sobre, épurée, à mille lieues de l’esthétisme clinquant de la K-pop et du culte des apparences est un écho à cela. Le ton est donné : l’enveloppe ne vaut rien en comparaison de la richesse profonde d’un artiste et plus largement de l’homme.
L’homme, face à lui-même
Les paroles de cet album, si profondément touchantes, évoquent une réalité douce et violente à la fois du vécu d’un être surexposé médiatiquement dont nous ne pouvons soupçonner les abysses… La solitude au soir dans les hôtels, la perte d’identité, le doute, le désespoir, l’épuisement, l’éloignement… exacerbés par les exigences d’un milieu réduisant parfois l’humain à un projet, à un objectif, à un succès. Avancer sous le poids des armures censées protéger au point de s’éloigner de soi, inexorablement… RM l’exprime sans détours. En toute sincérité.
Les dix chansons que comporte l’album viennent dans un ordre bien précis, suivant une évolution dans les émotions et les sentiments de son auteur. Tout est intimement lié. L’opus met en lumière toutes les nuances de l’artiste, ses contrastes. Ainsi, RM apparaît tantôt sage et pourtant si audacieux. Équilibré, toutefois en proie à tant de doutes. Timide, certes, mais si confiant. Parfois désespéré, voire torturé… néanmoins galvanisé par une détermination sans faille ; RM reste solide comme un roc, affrontant les froids et les brûlures de l’existence tels qu’ils se présentent à lui. Still Life est empreinte de cette fougue… Paroles brutes mais jamais rugueuses, rythme dynamique, cette chanson insuffle une pulsion de vie, un enthousiasme vigoureux, une énergie vivifiante. Comme l’espoir d’une jeunesse toujours vibrante, vivante. Tel le Phoenix qui renaît de ses cendres, RM persévère, de tout son cœur et de toute son âme, n’abandonnant ni ses rêves, ni son goût immodéré pour la vie. Affranchi de l’image superficielle des diktats de la K-pop et plus largement, des codes sociétaux parfois oppressants, son besoin viscéral de transparence s’exprime plus que jamais.
Enveloppés par sa voix profonde, il nous transpose dans sa réalité. Nous l’emmenons aussi dans la nôtre, puisque ses mots parlent aussi de nos blessures, de nos doutes. Car il sait combien témoigner de ses émotions peut être salvateur, pour lui mais aussi pour son public, telle une catharsis. RM ayant toujours été inspirateur et inspirant, il se mue en expert de la maïeutique. Et réussit ainsi le pari le plus fou, celui de faire d’une œuvre personnelle (mais jamais narcissique) une œuvre universelle et généreuse, l’âme même de l’Art… Privilégiés, nous nous trouvons ainsi témoins de la chrysalide laissant apparaître le papillon, et Namjoon réconcilier Rap Monster et Real Me.
L’ Autre, au cœur de la création
Afin de retracer le fil de ses émotions confidentielles, RM choisit la multiplicité des voix. Étant l’un des membres les plus actifs et impliqués dans la rédaction, la composition et la production des chansons de BTS, il n’en reste pas moins un altruiste curieux de nature et avide d’harmoniser les couleurs musicales de ceux qui l’entourent et/ou l’inspirent, dont il s’est enrichit artistiquement et humainement depuis déjà de nombreuses années. Car RM est humble. Sa modestie s’exprime aussi dans le respect et l’admiration du talent de nombreux artistes, qu’il n’a eu de cesse de valoriser, soutenir, encourager et mettre en lumière pour, en retour, offrir le meilleur de lui-même. Un véritable cercle vertueux. Au contact d’autrui, on le découvre toujours plus talentueux, plus sincère encore, riche d’une densité émotionnelle et d’une profondeur d’âme saisissantes.
Ouvert à tous les styles, c’est un caméléon qui s’expose courageusement, se retrouvant là où on ne l’attend pas, ou si peu. Aussi retrouve-t-on dans cet album des accents rap (Yun), hip-hop, R&B contemporain et Neo-soul , pop (Still Life), acoustique, épuré, quasi organique (Forg_tful)… Et loin d’être un ensemble hétéroclite, cet éclectisme offre une cohérence réconfortante, stimulante, euphorisante.
Car RM aime prendre des risques, bien qu’il avoue craindre les critiques, celles qui blessent et anéantissent. Il confie ces propos sans fard dans le documentaire BTS Monuments : Beyond The Star. Et admet que cela peut l’atteindre profondément. Pour autant, le plaisir de la création est si puissant, si essentiel, qu’il prend depuis toujours le risque de proposer à son public un style, une image, un état d’esprit chaque fois renouvelés, en accord avec son besoin profond d’offrir une version chaque fois plus fidèle de lui-même.
De même, parce qu’il est le seul membre du groupe à maîtriser parfaitement l’anglais, on pouvait supposer qu’il souhaite donner une dimension internationale en priorité à l’album en le proposant uniquement en anglais, mais son amour des mots, sa volonté de justesse, sa recherche de nuance absolue l’ont amené à cette œuvre hybride, qui lui ressemble pleinement, un accouchement de son âme, somme toute. RM nous offre ainsi une œuvre bilingue, alternant au sein même de chaque morceau les langues coréenne et anglaise. Hommage à ses fans coréens, les tous premiers à avoir soutenu le groupe, RM se fait le lien entre ses racines auxquelles il est si attaché, son passé et ses envies d’ailleurs, de recherche de reconnaissance là où les artistes de K-Pop était autrefois si ignorés, voire dénigrés. Car tout en lui est ambition mais pour réaliser cela, il est avant tout équilibre, dans une forme de dualité qui lui sied à la perfection.
Ainsi se révèlent toutes les nuances, toutes les couleurs de RM. Sérendipité ou non, on découvre que l’indigo est décrit par certains comme étant la septième couleur de l’arc en ciel, juste avant le violet… couleur symbolique de BTS et de ses ARMYs… De nombreux théoriciens, dont Newton, ont même fait un parallèle entre les sept couleurs, le nombre de notes de la gamme musicale et le chiffre 7 (comme les sept membres de BTS). Aucun doute, en plus d’être un véritable prodige, RM est un virtuose qui semble ne jamais rien laisser au hasard… En hanja, une des interprétations des caractères de son prénom signifie même « Génie du Sud »… Serait-ce donc simplement l’expression d’un noble destin ? Peu lui importe : si tout est soi-disant écrit, RM, lui, écrit à chaque nouvelle chanson ce destin.
Sources : BangtanTV, Weverse Magazine, Suchwita épisode 1