Yet To Come In Busan, nous avions tant rêvé de ce beau présage…

Article écrit par #Mugunghwa

Dans un contexte économique contrarié et une démographie inquiétante, la Corée du Sud rêvait d’élever Busan, sa plus grande agglomération après sa capitale Séoul, au rang des villes prestigieuses destinées à accueillir l’Exposition Universelle de 2030. Pour ce faire, elle avait notamment mis en avant le charme de son soft power dont l’emblématique groupe BTS, missionné pour séduire le monde entier. Retour sur cette candidature qui, malgré la défaite, permit d’offrir à la ville une visibilité et une notoriété remarquables. Le concert Yet To Come de BTS, notamment, en fut l’un des événements les plus marquants.

Busan serait-elle finalement la plus coréenne des cités ? Longtemps centrée sur son port de pêche, devenue par la suite symbole de l’industrie des grands conglomérats, dernier bastion résistant et capitale de substitution lors de la Guerre de Corée, elle devint rapidement une vitrine de la modernisation accélérée de la Corée du Sud. Flexible, évolutive mais fidèle à ses racines, Busan mue au gré des changements. Racée, authentique, elle ne perd ni de sa fougue, ni de sa chaleur au fil des courants. Et parce que celle-ci a tout enduré sans jamais subir, elle offre aujourd’hui le visage le plus réjouissant qui puisse être : puissante, moderne et dynamique, la ville de Busan propose officiellement le 29 novembre 2021 sa candidature à l’Exposition Universelle de 2030. Investissant financièrement deux fois moins que Rome, sa concurrente italienne, Busan sort pour autant sa plus belle carte en nommant entre autres BTS comme ambassadeur de cette candidature. Surfant sur la vague du soft power, le Corée du Sud mise largement sur ses représentants de charme afin de redorer l’image d’une ville trop souvent associée à son activité portuaire ; 10ème port mondial, elle est capable d’accueillir les plus grands porte-conteneurs du monde.

Aussi l’image de Busan, de prime abord industrielle et rugueuse, se tourne-t-elle également vers les arts en accueillant notamment le très célèbre Festival International du Film depuis 1996. Ville natale de deux des membres de BTS, Jimin et Jungkook, elle devient aussi, au fil du temps, une attraction incontournable pour les ARMYs. Plus largement, sa candidature exprime une volonté de renforcer son attractivité en se distinguant par son engagement écologique, affirmant la mise en œuvre de programmes environnementaux ambitieux d’ici 2030, et l’assurance d’une technologie de pointe, la plus performante qui soit.

Pourtant, la crise du Covid-19 n’a pas épargné Busan qui, aujourd’hui, peine à retrouver son économie d’avant 2019. Ainsi, certains commerces ou intermédiaires estiment avoir perdu la moitié, sinon les 2/3 de leurs bénéfices d’antan. De même, la ville accuse les départs : en l’espace de quelques années, près de 300 000 habitants ont quitté la ville au profit de la capitale.

Alors, dans une situation si critique, le concert annoncé par BTS pour le 15 octobre 2022 dans le cadre de la candidature Busan 2030 était inespéré. En effet, l’Exposition Universelle pourrait créer 50 000 emplois mais surtout permettre à la ville de rénover son port, ses infrastructures et la rendre bien plus attrayante encore pour le tourisme, générant jusqu’à 4 milliards de dollars. Pour autant, l’enjeu n’est pas uniquement économique. En effet, le rayonnement de la Corée du Sud dans le monde réside également dans sa capacité à se mouvoir, se transformer, s’adapter et se réinventer.

Le pays du matin calme fait effectivement figure d’exception. Tel le roseau qui plie sans jamais rompre. Pays maintes fois envahi, privé de son autodétermination et parfois même de sa propre culture, il a pourtant su, à travers les siècles, résister avec fierté, sans jamais faire preuve d’arrogance, en préservant ses arts, ses racines, sa langue… en un mot, son authenticité. 

Une défaite profondément décevante devant un enjeu économique et politique majeurs

Le réveil fut néanmoins bien triste pour Boogi au lendemain du 28 novembre, date des résultats du vote déterminant le vainqueur de l’Exposition Universelle 2030… Car la mascotte de Busan 2030, petit goéland à l’allure joviale, se serait sûrement bien vu entouré des sept membres de BTS devant un public passionné, entonnant une chanson officielle qui aurait été créée pour l’occasion, au cours d’un concert exceptionnel…

Ce moment magique, tant de fans en avaient rêvé. Mais plus encore, les organisateurs et fondateurs des projets présentés, qui pour leur part, subissent un échec abrupt, la ville de Riyadh étant élue à 119 voix, contre 29 pour Busan et 17 pour Rome. Déception profonde pour ces équipes qui avaient, sous le slogan « Busan Is Ready », mis toutes leurs compétences, leur professionnalisme, leur passion et leur engagement au service de Busan.  

La ville de Paris (le Bureau International des Expositions y siège depuis 1928) était notamment devenue la vitrine de cette candidature avec une présence médiatique très prégnante ; de nombreuses voitures arboraient des slogans Busan 2030 dans le quartier Opéra ; l’acteur principal de Squid Game s’était déplacé en tant qu’ambassadeur à la K Expo porte de Versailles ; la mascotte Boogi en « personne », à la fête de Chuseok organisée au Jardin d’Acclimatation de Neuilly ; quant à l’accueil du Centre Culturel Coréen, celui-ci réservait la part belle aux spots accrocheurs et séduisants sur l’attractivité de Busan tout au long de cette année.

Au-delà du « marketing » destiné au grand public, la cité balnéaire et portuaire avait fait de la mer sa force, son atout majeur. Ainsi, le logo officiel représentant les vagues et ses slogans, employait-il le champ lexical marin avec des phrases telles que « transformer notre monde, voguer vers un avenir meilleur », « provoquer des vagues de changement profond », ou encore  « Busan a atteint le monde entier telles des vagues de l’océan qui voyagent au loin »… Il faut dire que les ambitions étaient nombreuses et  ingénieusement étudiées.

Car Busan se rêvait en ville passerelle entre deux époques, celles ou la Corée du Sud était alors l’un des pays les plus pauvres de la planète à l’issue de la guerre de Corée (1950-1953) à celle d’une économie mondiale parmi les dix premières, huitième en volume d’échanges commerciaux. Ce « miracle économique » coréen s’exprime aussi par une technologie de pointe et une grande puissance industrielle (étant leader industriel dans les semi-conducteurs, les batteries, voitures électriques et production d’énergie propre, Busan étant d’ailleurs considérée comme ville modèle de l’industrie 4.0, « Smart City »). De plus, le développement durable s’invitant dans le programme, Busan souhaitait mettre plus que tout en avant son énergie Bleue, sa marque de fabrique lors de cette candidature, reflet d’une détermination à occuper un rôle prépondérant dans la lutte contre le réchauffement climatique et une technologie au service du Vivant, la mer au cœur de toutes les ambitions les plus nobles. Pour ce faire, Busan avait notamment le soutien des dix plus grands conglomérats du pays. 

Enfin, Busan s’érigeait en spécialiste de l’organisation d’évènements internationaux prestigieux, ayant de nombreuses expériences réussies telles le sommet de l’APEC ou le Festival International du film de Busan organisé chaque année. Au cœur de la K culture avec 40 millions de visiteurs par an, la ville se décrivait comme « épicentre de la Hallyu », les contenus culturels tels que la musique, les dramas et films divertissant et captivant le monde entier.  À commencer par le concert Yet To Come de BTS. Un événement gratuit, fédérateur et grandiose, commandité par le gouvernement en vue de soutenir la candidature de Busan.

BTS, visage emblématique du soft power

Incontestablement, la participation de BTS fut un élément significatif de la proposition de la ville portuaire. Pas moins de 100 000 personnes étaient attendues au sein de l’Asiad Main Stadium, sur la plage de Haeundae et de la plateforme du terminal du port de Busan (pour ces deux derniers, le concert serait retransmis sur écrans géants) et il fallut pour cela une organisation savamment étudiée. Le concert fut également retransmis en direct sur le site internet Weverse, si bien que 49 millions d’ARMYs furent en ligne, faisant saturer le serveur. 

Un succès planétaire, un concert à l’ampleur inespérée pour l’économie de la ville. En effet, Busan devint, en l’espace de quelques semaines, un lieu incontournable pour les ARMYs du monde entier, commençant le 5 octobre 2022 avec l’exposition Proof, retraçant la carrière du groupe.

Certains produits officiels dérivés du concert n’auront été en vente qu’à Busan, notamment au Lotte Department Store, créant l’exclusivité et l’attractivité de la ville. Lotte World Adventure se transforma en parc d’attractions sur le thème de BTS, avec musique, illuminations, aliments et boissons de couleur violette mais surtout, un spectacle fabuleux chaque soir ; effets spéciaux, lasers et feux d’artifice, une véritable expérience immersive pour les ARMYs. Les grands hôtels de la ville de Busan se sont vus illuminés de violet, organisant des évènements et goodies pour leurs clients venus spécialement pour l’occasion ; des évènements photos et after-party ont été organisés les samedi et dimanche soirs pour prolonger l’ambiance extatique du concert. Pour l’anecdote, même les forces de l’ordre municipaux portaient des masques de couleur violette.

Les ARMYs n’ont pas été les seuls ravis de cet événement exceptionnel ; de nombreux commerçants, hôteliers, taxis ont accueilli avec une joie non dissimulée ces visiteurs affluant des quatre coins du globe. Une aubaine pour l’économie locale, soudainement redynamisée par cet événement de grande ampleur. Par ailleurs, certains propriétaires et hôteliers peu scrupuleux s’enhardirent à multiplier parfois jusqu’à 10, 20 ou même 30 fois le tarif initial des hébergements… Un scandale, dénoncé avec véhémence par les ARMYs, choqués de l’inaction de la ville face à de telles pratiques. Leur intervention permit davantage de contrôle et donc, d’équilibre. De même, les ARMYs ayant averti le gouvernement concernant la question des transports, il fut décidé d’augmenter la fréquence de tous les bus, métros, trains et avions pendant cette période.

Les ARMYs, initiateurs d’une organisation responsable et lucide, garants de la réussite de l’évènement

Ce concert tant attendu n’aurait, au demeurant, probablement pas été possible sans la vigilance du fandom  de BTS, les ARMYs. En effet, de nombreuses controverses ont agité les médias et les fans quelques mois précédant le concert.  

La première venait du financement de ce projet, estimé à sept milliards de wons. Un coût élevé pour un comité n’ayant pas les fonds nécessaires, ceux-ci provenant de l’argent public. Hybe, le label de BTS, fut aussitôt conscient de la nécessité de faire intervenir divers partenaires et sponsors tels que les entreprises, la publicité… au risque, en l’absence de ces parrainages, de devoir lui-même financer la totalité de cet évènement. Aussi les ARMYs ont-ils réagi en précisant que ce concert se faisant dans le cadre du soutien à la candidature à l’Exposition Universelle Busan 2030, il n’était pas envisageable que Hybe puise dans ses propres fonds sachant que l’événement ne serait pas profitable financièrement au label mais seulement à la ville de Busan. Fort heureusement, de prestigieux partenaires comme le conglomérat Hyundai notamment, permirent le soutien à ce projet titanesque.

La seconde vint du lieu. Les moyens se faisant rares de prime abord, la ville de Busan décida de prévoir le concert sur l’ancien site d’une usine de verre à Gijang… Mais l’afflux conséquent de visiteurs estimé par les fans (jusqu’à 100 000 personnes attendues) alerta Hybe sur la possibilité de risques majeurs liés à l’engorgement possible de la foule, et son accessibilité discutable (on craint alors des difficultés de transports, une saturation des services et des mouvements incontrôlables de foule).

Grâce à la vigilance des fans, Hybe reconsidéra l’idée initiale et proposa par la suite l’Asiad Main Stadium, préservant ainsi le confort et la sécurité des fans. Cette vigilance et cette prudence des ARMYs contribuèrent à ce que l’événement se déroule au mieux, en tous termes, quand on sait combien l’impréparation peut mener à des drames comme celui d’Itaewon lors d’Halloween 2022 ou du rassemblement des Scouts de l’été dernier à Saemangeum… Il aurait été dramatique et hautement compromettant qu’advienne un incident dans un tel contexte de candidature, mettant l’accent sur l’irresponsabilité du gouvernement et donc, son incapacité à organiser l’Exposition Universelle, et par extension, d’autres événements prestigieux… 

Au-delà des questions de sécurité, le désengagement financier du gouvernement et de la ville de Busan dans l’organisation du concert engendra une colère profonde chez les ARMYs, ceux-ci dénonçant une manœuvre discutable, le concert Yet To Come in Busan étant un événement promotionnel gratuit particulièrement accessible. Force est de constater que sans les sponsors de ce concert (Lotte, SK Telecom, Hyundai…), Hybe aurait accusé un déficit tel que le label aurait été plongé dans une situation financière soudainement fort délicate.

Un espoir déçu mais des fans résolument conquis et infiniment enthousiastes

Par ailleurs, la contribution du groupe à cet événement hors du commun laissa un instant à penser que ceci eut la possibilité de les exempter du service militaire coréen obligatoire pour tous les jeunes hommes. Ainsi, le maire de Busan lui-même avait suggéré que cet acte de participation à l’effort de la nation pour le rayonnement de la Corée du Sud à travers le monde puisse alléger la durée de leur service, soit tout simplement les en dispenser. Malheureusement, il n’en fut rien.  

De cet événement, pourtant, on ne retiendra que le merveilleux d’une organisation somme toute parfaite, d’une ferveur unique et d’une prestation inoubliable. BTS a passionné les foules par ses chorégraphies parfaitement effectuées, ses plus belles chansons interprétées avec une émotion non dissimulée et une connivence entre les membres, sincère et touchante, réconciliant définitivement les fans avec cet événement unique, historique et exceptionnel.

Le contexte y était également pour beaucoup ; à la suite du Covid-19, les annulations de concerts ou les restrictions lors de représentations avaient terni l’exaltation des fans qui se languissaient. La distanciation et les mesures de prévention du Covid abandonnées avant ce concert, celui-ci fut donc également le symbole du bonheur retrouvé pour les fans de partager un moment mémorable avec leurs idoles. Ainsi, dans le cœur des ARMYs, il restera à jamais le dernier concert réunissant les sept membres avant la pause annoncée dans leur carrière et le début de leur service militaire.

Lors du banquet d’Etat organisé pour la venue du président sud-coréen au Royaume-Uni, le roi Charles III a déclaré le mois dernier: « le Royaume Uni a les Beatles, la Corée du Sud a BTS… ». BTS désormais érigé au rang de groupe iconique aux yeux du monde entier, Busan espérait que son joker lui permette de remporter la partie. En conséquence de la défaite, BTS seront donc, de ce fait, « exemptés » oui, mais seulement de promotion dans le cadre Busan 2030.

Sources : Nikkei Asia, The Diplomat, France24, Hindustan Times, Hyundai News, FranceInfo, Paris Match, Site officiel Expo 2030 Busan (site désormais clos), @bieparis (X), Weverse