D-2, retour dans l’univers clair-obscur d’Agust D
Article écrit par #Tinnie & #Enjolras
Le 22 mai 2020, après plusieurs jours de messages obscurs relayés sur les réseaux sociaux, Suga, sous son alias Agust D, dévoile sa deuxième mixtape, D-2, portée par Daechwita, single principal de ce nouvel opus. Cinq ans plus tard, alors que les ARMYs du monde entier retiennent leur souffle à J-2 de son retour du service militaire, il est temps de réécouter D-2 — et de comprendre pourquoi ce disque n’a rien perdu de sa puissance.

Là où son premier projet solo, Agust D (sorti en 2016), frappait par sa violence émotionnelle et sa franchise, abordant sans détour la santé mentale ou la dure conquête du succès, D-2 s’inscrit dans cette continuité en creusant de plus amples questions existentielles : l’identité, le passage du temps, la solitude, mais aussi le poids écrasant des attentes liées à son statut d’artiste et d’idole.
Composée de dix morceaux qui naviguent entre les genres, la mixtape met en lumière l’éclectisme et la maturité artistique de Suga. Loin de se cantonner à un registre unique, il y déploie son savoir-faire en production, écriture et interprétation, appuyé par des collaborations soigneusement choisies.
Des émotions brutes mais universelles
D-2 est un projet alternant colère et mélancolie, revendications et retour sur soi. Dans le premier morceau, Moonlight, Agust D s’interroge sur son activité et les changements induits par le succès, bien que son monde, dans son essence, n’a pas tant changé que ça.
« Que suis-je en train de faire, est-ce que j'aime vraiment la musique ? Parfois je me demande à nouveau : s'il était possible de retourner en arrière Est-ce que je le ferais ? Et bien, il va falloir que j'y réfléchisse encore [...] Beaucoup de choses ont changé dans ma vie mais Ce clair de lune est toujours le même»
Agust D | Moonlight | 2020

Cette humeur contemplative se retrouve dans 28 (feat. NiiHWa) : C’est à propos d’un adulte / Qui trouve suffocant de s’accrocher à un rêve /Je deviens cet adulte. Dans Honsool, cette vie d’adulte est dépeinte avec résignation, Agust D décrivant un quotidien de solitude présente dès le titre signifiant “boire seul” en coréen.
D-2 est également une voix lucide s’élevant pour porter un regard plus large sur le monde qui l’entoure. Dans Strange (feat RM), les deux rappeurs déconstruisent la normalité et exposent les injustices de la société moderne.
« Un grand système appelé le Monde Il contient des conflits, des guerres et de la survie La vie que tu ne peux pas rejeter Le Capitalisme injecte une morphine d’espoir en compensation du rêve»
Agust D | Strange (ft. RM) | 2020
Cette question de normalité, du “bon et du mauvais” présent en chacun d’entre nous, se retrouve dans la chanson People : Une vie extraordinaire, une vie ordinaire / Chacun à sa façon, c’est bien. Sans jugement ni échelle de valeurs, Agust D rappelle la vacuité même de l’existence et l’importance de vivre, tout simplement, en étant fidèle à soi-même, célébrant chaque victoire et admettant chaque défaite : Tout le monde continuera d’exister / Tout le monde aimera / Tout le monde s’effacera / Et sera oublié.
Une introspection lucide

« Il n’y a pas plus haut que là où je me tiens à présentMoi qui ne regardais que vers le haut jusque làJ’aimerais maintenant regarder en bas et mettre pied à terre.»
Agust D | Daechwita | 2020
En parallèle, la mixtape révèle des morceaux plus durs, plus provocateurs dans leur fond et leur forme, à commencer par le single, Daechwita. Les paroles volontairement percutantes, portées par une musique militaire traditionnelle donnant son nom au titre, permettent à Agust D d’imposer son flow et son talent de parolier, égrenant le morceau de références historiques. S’il se présente comme un Roi, Agust D est conscient du statut éphémère de celui qui est au sommet
Cette arrogance stylistique se poursuit dans What do you think, où l’artiste expose ses richesses, son talent d’une manière presque désabusée, mais également dans Burn It (feat MAX), où Agust D évoque la nécessité de laisser “brûler le passé”. L’utilisation de la métaphore filée du feu est amplifiée par une mélodie puissante et sombre.
La mixtape se conclut néanmoins par un titre plus doux et mélancolique, empreint de sentiments doux-amers : Dear my Friend (feat. Kim Jong-Wan). Cette chanson profondément personnelle revient sur un épisode douloureux du passé d’Agust D, la perte d’un ami en proie aux démons de l’addiction. Cette confession brutale est teintée de résignation (“De nombreuses fois nous disions “Ensemble, nous n’avons peur de rien” / Et maintenant nous marchons sur deux chemins différents, mince”), de regret, d’amour et de colère. Les dernières paroles offrent un constat plus général sur l’existence : “Le moi que tu connaissais n’existe plus / Le toi que je connaissais n’existe plus / Ce n’est pas à cause du temps que nous avons changé, tout est éphémère.”
Un pont entre l’ombre et la lumière
Tout au long de ces dix titres, Agust D poursuit une route faite d’introspection et d’éclats sincères, portés par un rap incisif et des mélodies pointues, alternant entre old-school, musique traditionnelle ou synthpop.
Cette mixtape est une passerelle entre la rage juvénile de Agust D, paru lorsque l’artiste avait 23 ans, et la maturité de D-Day, album dévoilé en 2023, peu avant son enrôlement. D-2 demeure un album clé pour comprendre Agust D, et à travers lui, Min Yoongi. Plus qu’un simple projet solo, c’est un autoportrait fragmenté, brutal et poétique, qui refuse les compromis et épouse la complexité de l’humain. Dans toutes ses ombres et ses lumières.

Remarque :
Tous les passages cités dans cet article sont issus des traductions françaises proposées par BTS ARMY FRANCE.
Sources : Interview de Suga dans le Time Magazine